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LA RÉSISTANCE DES SYMPTÔMES

Habiter ses fantômes”

Estefania Bouchot

DU 15/04 AU 09/05

En tant qu’étrangère, j’ai découvert que rester fidèle à soi-même dans un contexte inconnu devient une quête pleine de doutes et de remises en question. Arriver en France, en tant que jeune femme à peine adulte, venue du Mexique, dans un pays qui porte tant de poids dans nos inconscients collectifs, a engendré une spirale intérieure. J’ai toujours évité de parler d’identité, de racines ou d’ancrage, préférant m’abandonner à une conception de la liberté où le champ du devenir reste constamment et ouvertement devant nous.

Cependant, un retournement inattendu s’est opéré lorsque j’ai finalement pris conscience de mon propre corps étranger, une entité flottant dans sa différence persistante. Le fantôme, ici, représente cette image de soi qui, en raison de l'écart entre l'individu et son existence, devient une figure floue, insaisissable. Parfois, on peut ressentir que l’on n’est pas pleinement vivant, ce paradoxe où l’être se vit comme mort.

Les œuvres présentées dans cette exposition nous invitent à naviguer dans l’ambivalence du désir : ce désir éternellement insatisfait, inachevé. Elles explorent la confrontation à l’absurde et à la liberté, et la manière dont l’on peut se perdre dans un imaginaire de soi, façonné par une quête d'authenticité individuelle ou imposé par des normes sociales, porteuses déjà de leurs propres fantasmes. À travers la métaphore du spectre, qui incarne le vide, se matérialisent des silhouettes creuses, des interstices fragiles.

Je vous invite à plonger dans cette notion qui, paradoxalement, symbolise à la fois l'absence et le potentiel infini. Ce vide n’est pas simplement une lacune, mais aussi un espace de toutes les possibilités, un lieu où l’on peut rêver, s’échapper, mais aussi se perdre. Dans ce contexte, nous sommes confrontés à un vide ontologique, où la liberté finit par nous paralyser. Comme le disait Kierkegaard, l’homme esthétique se trouve pris dans l’angoisse d’une existence libre et absurde – un état de flottement permanent, un spectre où l’expérience artistique devient un moyen de s’ancrer dans l’impermanence, dans l’absence de choix, dans une quête sans fin de sens qui ne se concrétisera jamais.

Mais c’est précisément dans cet espace liminal, où le mystère se dévoile sous une forme magique, que réside le charme de l’inconnu, de tout ce qui pourrait être. C’est un lieu où l’on habite le possible.

L’idée d’un être fragmenté, décalé, vulnérable, a progressivement nourri l’univers singulier dans lequel je me suis immergée depuis lors. Le terme « fantôme » résonne ici sur plusieurs registres. Le dédoublement, non pas comme une disjonction, mais comme une multiplicité de soi, s’est révélé être un foyer où je pouvais incarner diverses versions de moi-même. Ainsi, j’ai trouvé un moyen de me libérer de moi-même, de ce corps marginal. À travers mes œuvres, avec des formes organiques et des couleurs vibrantes, j’essaie de donner vie à mes fantômes et de les convoquer à se rassembler. Si nous devons rester à jamais des fantômes de nous-mêmes, alors rendons-leur hommage, comme nous honorons nos morts, avec humour et dans un élan de célébration, du moins pour aujourd'hui. Que vivent les fantômes !

Estefania Bouchot

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